Il
y a trois ans, en 2009, Pina Bausch, LA
Pina Bausch,
s'éteignait à l'âge de 68 ans, d'un cancer fulgurant.
Figure
de proue de la danse contemporaine depuis plus de trente ans, cette
chorégraphe et danseuse hors pair a débuté sa formation en danse à
l'école Folkwang d'Essen. Elle y côtoya de grands professeurs et
notamment Kurt Jooss. Elle obtint son diplôme en 1959, puis partit
étudier à la Juilliard School de New York.
Ses
premiers pas sur scène seront avec le New American Ballet, elle
deviendra la suite membre du Metropolitan Opera.
Elle
ne retournera en Allemagne qu'en 1962, à cette occasion, elle
travaillera avec son ancien professeur Kurt Jooss, ce qui lui
permettra d'être soliste dans le Folkwang Ballett.
Sa
première création en tant que chorégraphe date de 1968 :elle écrit
alors «Fragmente», puis «Dans l'air du temps». Sa carrière
prendra alors un nouveau tournant : elle dirigera le ballet de
l'Opéra de Wuppertal (rebaptisé par la suite Tanztheater Wuppertal
Pina Bausch).
Sa
modernisation et sa transformation de la danse moderne dans
l'Allemagne de l'après-guerre, exportées dans le monde entier,
firent d'elle une artiste mondialement reconnue.
Par
MARIE-CHRISTINE
VERNAY
«Silhouette
noire, fina
estampa, caballero,
Pina Bausch se tenait immobile dans un coin reculé de la boîte
réservée aux aficionados de sévillanes.
Ses portraits étaient affichés aux murs et le patron avait déjà
eu l’occasion de lui transmettre les secrets de cette danse
populaire et très sophistiquée. Elle ne disait rien. Elle ne
parlait pas, elle regardait en fumant clope sur clope. Personne
n’aurait pu deviner qu’elle s’appelait Pina Bausch, qu’elle
était la figure maîtresse de la Tanztheater allemande.
Elle
pinçait délicatement ses lèvres fines en un sourire qui la
définissait aussi bien que son semblant d’absence. Elle était une
farouche du ressassement au sens où l’entendait Maurice Blanchot
et elle savait donc inventer, jamais à court de surprises. Dans un
coin reculé, au fin fond d’un village de l’Inde, elle se tenait
tout autant immobile. Elle regardait encore et toujours pour
comprendre cette danse classique indienne qu’elle aima tant. A côté
d’elle, il y avait Thomas Erdos, producteur qui, lui non plus, ne
connaissait aucune frontière. De la même façon que Bénédicte
Pesle a imposé Cunningham en Europe, il a su apporter Pina comme sur
un plateau, couvert d’œillets de la révolution portugaise.
«Tripes».
Sa
pièce Nelken
(«œillets»),
de 1982, reste dans toutes les mémoires. D’ailleurs, tous les
danseurs, motivés par Germana Civera et Olga de Soto, jetteront
aujourd’hui ces fleurs sur les scènes du festival Montpellier
Danse.
«Tellement
d’images et de souvenirs… Elle était une des plus grandes
chorégraphes qui a réellement construit une œuvre. Mais elle était
plus encore, humaine profondément. Elle était de l’amour, de la
séduction. Elle avait la mémoire et elle savait transmettre.»
«Lors
de sa rétrospective en 1994 à Lisbonne, je l’ai rencontrée à la
cafétéria,
raconte Germana Civera, Elle
a regardé dans mon estomac, au fond de mes tripes. Elle m’a dit
"on se reverra"».
Germana a failli travailler avec elle. Elle a renoncé au bout d’un
mois, par peur d’être sous sa coupe, de devoir tout lui donner.
Car Pina Bausch demandait beaucoup, sans doute trop aux danseurs,
pour parachever son œuvre. Il ne lui suffisait pas d’avoir des
techniciens hors pair, elle voulait les gens, ce qu’ils avaient au
plus secret d’eux-mêmes.
Obstacles.
Entre autres figures légendaires de la compagnie, Dominique Mercy
n’a jamais lâché l’affaire. Il a toujours été à ses côtés,
dans les rôles les plus perturbants. Hier, il ne pouvait pas parler.
Juste quelques mots pour s’excuser de son mutisme, que l’on
respecte infiniment : «Je
ne peux rien dire d’autre que c’est inconcevable. Elle était à
bout de force, elle a succombé en cinq jours.»
Raimund Hoghe, qui fut son dramaturge, programmé à Montpellier, ne
peut pas non plus s’exprimer. Ayant appris la nouvelle avant sa
répétition avec Faustin Linyekula, pour lequel il crée un solo, il
a tenu à poursuivre son travail. La disparition non annoncée de la
grande dame allemande pétrifie, jette la stupeur.
Et
pourtant, elle fut déjà le fantôme d’elle-même dans Café
Müller, en
1978. On ne peut oublier cette femme aveuglée, se cognant aux
obstacles, se recroquevillant sous une table, terrorisée ou folle de
rage. Elle évoquait son enfance, lorsqu’elle déambulait, enfant,
dans le bar-restaurant-café de ses parents.
A
15 ans, en 1955, elle intègre l’école de Kurt Jooss à Essen.
Elle retiendra tout de ce chorégraphe, maître de l’expressionisme
et de la danse moderne, qui, avec son spectacle la
Table verte, ridiculisait
en 1932 les notables et les politiques qui décidèrent de la guerre
et donnèrent tout pouvoir à un profiteur. En 1959, elle est à New
York où elle suit les cours de la prestigieuse Julliard School. De
retour en Allemagne, elle entame une carrière de danseuse, donne des
cours à Essen, imagine ses premières chorégraphies et fonde le
Tanztheater de Wuppertal en 1974.
L’année
suivante, sa version du Sacre
du printemps
à l’Opéra de Paris est un formidable coup de tonnerre. A partir
des années 80, Pina Bausch revient tous les ans au Théâtre de la
Ville à Paris, à l’invitation de son directeur Gérard Violette,
avec à chaque fois une nouvelle création. Après Palermo,
Palermo (1989)
elle part tous les ans dans une ville différente du monde préparer
son nouveau spectacle. Certaines de ces pièces ont pu tourner
parfois au dépliant touristique; ou s’égarer dans l’anecdote.
Impossible de lui en vouloir. Elle était une enfant de la Ruhr, des
cités industrielles, de la métallurgie. Le corps ouvrier, c’est
son rayon. Elle a mené une quête perpétuelle pour le libérer de
ses contraintes, pour le sublimer.
On
ne saurait énumérer tous les personnages vrais et décalés qui ont
tenu ses spectacles, des bébés en couche-culotte, des voyous, des
femmes très putes, des hystériques, des furies et des sacrifiées.
Car Pina Bausch s’est toujours intéressée, d’une certaine façon
comme la grande «prêtresse» Martha Graham, aux égéries de la
tragédie grecque : Iphigénie, Antigone et les autres cinglées
géniales qui ont marqué la littérature et la danse. Son Sacre
du printemps est
une impitoyable mise à mort de l’élue avec des danses à vous
tourner la tête, vulgaires, tribales, qui désignent la coupable.
Quant à son
Barbe Bleue,
il est aussi inquiétant que lamentable.
Fous
rires.
D’elle, on gardera des souvenirs inouïs : une femme sans
concession qui amenait sa fille sur les plateaux, qui faisait la
précieuse, qui avait une main de fer et une générosité non
contrôlée, qui pouffait parfois comme une gamine, qui rendait
hommage à des inconnus, notamment dans Danzón,
dédié à la danse populaire mexicaine. On n’oubliera pas non plus
que ses danseuses avaient des jambes poilues et des talons hauts et
qu’elles piquaient des fous rires et que le must était sa danse
dite des «cheveux».
Nous danserons toujours avec elle.»
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