dimanche 20 mai 2012

Pina Bausch


Il y a trois ans, en 2009, Pina Bausch, LA Pina Bausch, s'éteignait à l'âge de 68 ans, d'un cancer fulgurant.
Figure de proue de la danse contemporaine depuis plus de trente ans, cette chorégraphe et danseuse hors pair a débuté sa formation en danse à l'école Folkwang d'Essen. Elle y côtoya de grands professeurs et notamment Kurt Jooss. Elle obtint son diplôme en 1959, puis partit étudier à la Juilliard School de New York.
Ses premiers pas sur scène seront avec le New American Ballet, elle deviendra la suite membre du Metropolitan Opera.
Elle ne retournera en Allemagne qu'en 1962, à cette occasion, elle travaillera avec son ancien professeur Kurt Jooss, ce qui lui permettra d'être soliste dans le Folkwang Ballett.
Sa première création en tant que chorégraphe date de 1968 :elle écrit alors «Fragmente», puis «Dans l'air du temps». Sa carrière prendra alors un nouveau tournant : elle dirigera le ballet de l'Opéra de Wuppertal (rebaptisé par la suite Tanztheater Wuppertal Pina Bausch).
Sa modernisation et sa transformation de la danse moderne dans l'Allemagne de l'après-guerre, exportées dans le monde entier, firent d'elle une artiste mondialement reconnue.




Par MARIE-CHRISTINE VERNAY
«Silhouette noire, fina estampa, caballero, Pina Bausch se tenait immobile dans un coin reculé de la boîte réservée aux aficionados de sévillanes. Ses portraits étaient affichés aux murs et le patron avait déjà eu l’occasion de lui transmettre les secrets de cette danse populaire et très sophistiquée. Elle ne disait rien. Elle ne parlait pas, elle regardait en fumant clope sur clope. Personne n’aurait pu deviner qu’elle s’appelait Pina Bausch, qu’elle était la figure maîtresse de la Tanztheater allemande.
Elle pinçait délicatement ses lèvres fines en un sourire qui la définissait aussi bien que son semblant d’absence. Elle était une farouche du ressassement au sens où l’entendait Maurice Blanchot et elle savait donc inventer, jamais à court de surprises. Dans un coin reculé, au fin fond d’un village de l’Inde, elle se tenait tout autant immobile. Elle regardait encore et toujours pour comprendre cette danse classique indienne qu’elle aima tant. A côté d’elle, il y avait Thomas Erdos, producteur qui, lui non plus, ne connaissait aucune frontière. De la même façon que Bénédicte Pesle a imposé Cunningham en Europe, il a su apporter Pina comme sur un plateau, couvert d’œillets de la révolution portugaise.
«Tripes». Sa pièce Nelken («œillets»), de 1982, reste dans toutes les mémoires. D’ailleurs, tous les danseurs, motivés par Germana Civera et Olga de Soto, jetteront aujourd’hui ces fleurs sur les scènes du festival Montpellier Danse.
«Tellement d’images et de souvenirs… Elle était une des plus grandes chorégraphes qui a réellement construit une œuvre. Mais elle était plus encore, humaine profondément. Elle était de l’amour, de la séduction. Elle avait la mémoire et elle savait transmettre.»
«Lors de sa rétrospective en 1994 à Lisbonne, je l’ai rencontrée à la cafétéria, raconte Germana Civera, Elle a regardé dans mon estomac, au fond de mes tripes. Elle m’a dit "on se reverra"». Germana a failli travailler avec elle. Elle a renoncé au bout d’un mois, par peur d’être sous sa coupe, de devoir tout lui donner. Car Pina Bausch demandait beaucoup, sans doute trop aux danseurs, pour parachever son œuvre. Il ne lui suffisait pas d’avoir des techniciens hors pair, elle voulait les gens, ce qu’ils avaient au plus secret d’eux-mêmes.
Obstacles. Entre autres figures légendaires de la compagnie, Dominique Mercy n’a jamais lâché l’affaire. Il a toujours été à ses côtés, dans les rôles les plus perturbants. Hier, il ne pouvait pas parler. Juste quelques mots pour s’excuser de son mutisme, que l’on respecte infiniment : «Je ne peux rien dire d’autre que c’est inconcevable. Elle était à bout de force, elle a succombé en cinq jours.» Raimund Hoghe, qui fut son dramaturge, programmé à Montpellier, ne peut pas non plus s’exprimer. Ayant appris la nouvelle avant sa répétition avec Faustin Linyekula, pour lequel il crée un solo, il a tenu à poursuivre son travail. La disparition non annoncée de la grande dame allemande pétrifie, jette la stupeur.
Et pourtant, elle fut déjà le fantôme d’elle-même dans Café Müller, en 1978. On ne peut oublier cette femme aveuglée, se cognant aux obstacles, se recroquevillant sous une table, terrorisée ou folle de rage. Elle évoquait son enfance, lorsqu’elle déambulait, enfant, dans le bar-restaurant-café de ses parents.
A 15 ans, en 1955, elle intègre l’école de Kurt Jooss à Essen. Elle retiendra tout de ce chorégraphe, maître de l’expressionisme et de la danse moderne, qui, avec son spectacle la Table verte, ridiculisait en 1932 les notables et les politiques qui décidèrent de la guerre et donnèrent tout pouvoir à un profiteur. En 1959, elle est à New York où elle suit les cours de la prestigieuse Julliard School. De retour en Allemagne, elle entame une carrière de danseuse, donne des cours à Essen, imagine ses premières chorégraphies et fonde le Tanztheater de Wuppertal en 1974.
L’année suivante, sa version du Sacre du printemps à l’Opéra de Paris est un formidable coup de tonnerre. A partir des années 80, Pina Bausch revient tous les ans au Théâtre de la Ville à Paris, à l’invitation de son directeur Gérard Violette, avec à chaque fois une nouvelle création. Après Palermo, Palermo (1989) elle part tous les ans dans une ville différente du monde préparer son nouveau spectacle. Certaines de ces pièces ont pu tourner parfois au dépliant touristique; ou s’égarer dans l’anecdote. Impossible de lui en vouloir. Elle était une enfant de la Ruhr, des cités industrielles, de la métallurgie. Le corps ouvrier, c’est son rayon. Elle a mené une quête perpétuelle pour le libérer de ses contraintes, pour le sublimer.
On ne saurait énumérer tous les personnages vrais et décalés qui ont tenu ses spectacles, des bébés en couche-culotte, des voyous, des femmes très putes, des hystériques, des furies et des sacrifiées. Car Pina Bausch s’est toujours intéressée, d’une certaine façon comme la grande «prêtresse» Martha Graham, aux égéries de la tragédie grecque : Iphigénie, Antigone et les autres cinglées géniales qui ont marqué la littérature et la danse. Son Sacre du printemps est une impitoyable mise à mort de l’élue avec des danses à vous tourner la tête, vulgaires, tribales, qui désignent la coupable. Quant à son Barbe Bleue, il est aussi inquiétant que lamentable.
Fous rires. D’elle, on gardera des souvenirs inouïs : une femme sans concession qui amenait sa fille sur les plateaux, qui faisait la précieuse, qui avait une main de fer et une générosité non contrôlée, qui pouffait parfois comme une gamine, qui rendait hommage à des inconnus, notamment dans Danzón, dédié à la danse populaire mexicaine. On n’oubliera pas non plus que ses danseuses avaient des jambes poilues et des talons hauts et qu’elles piquaient des fous rires et que le must était sa danse dite des «cheveux». Nous danserons toujours avec elle.»








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