dimanche 20 mai 2012

"Sur la route" by Walter Salles





Parce que j'aime ce film avant de l'avoir vu. Parce que j'avais adoré "Diario de motocicleta". Et parce que Walter Salles est un grand.
C'est pour plusieurs raisons, que je décide, avant de mettre la critique du film (une fois que je l'aurai vu), de poster un article du magazine Le Monde, que je trouve très intéressant, sur la Beat Generation, celle de Kerouac et le nouveau film de Walter Salles, "Sur la route".
Pourquoi est-il intéressant ? Honnêtement, il m'a encore plus donné envie de voir le film. Il décrit les aventures du tournage en se focalisant sur les trois acteurs "qui promettent", la relation intense que Walter Salles a engagé avec ses acteurs depuis 10 ans et bien sur, l'adaptation du roman de Jack Kerouac.



Bientôt la critique.

"LA DERNIÈRE FOIS qu'on les a vus tous les trois, les deux garçons et la fille étaient sur la véranda d'une plantation. Ils sont montés dans la Hudson 1947 et ont disparu sous les arbres de l'allée. C'était en septembre 2010, à La Nouvelle-Orléans, le tournage de Sur la route durait déjà depuis trois mois. Il leur en restait encore autant, à se balader du Mexique à San Francisco, en passant par le Canada.
Un an et demi après, Garrett Hedlund, Sam Riley et Kristen Stewart se sont retrouvés dans la lumière crue de Los Angeles. C'est la première réunion du trio depuis des mois, et pourtant on dirait que le tournage vient de finir. Ils s'échappent du studio, où ils posent pour le photographe Steven Pan, pour aller fumer sur le trottoir. Leur complicité physique est intacte, la même que celle qui les unissait sur la banquette de la Hudson, sur les routes américaines. Leur façon de parler du film n'est pas non plus celle des acteurs ressassant sans cesse les mêmes éléments de langage imposés par les media coaches. Dans leurs histoires, leurs réflexions, on entend plutôt les échos d'une expérience commune qui les a façonnés. Sous l'égide de saint Jack Kerouac, sous la direction de Walter Salles, ils se sont fait une autre idée du monde, du cinéma.
Le 23 mai, ils seront à Cannes pour la première mondiale de Sur la route, de Walter Salles, d'après le roman de Jack Kerouac, l'œuvre fondatrice de la beat generation. Le réalisateur brésilien s'est emparé en 2004 de ce texte inspiré de voyages accomplis à travers les Etats-Unis à la fin des années 1940, paru en 1957. Il lui a fallu huit ans pour mener le film à bon port, sans renoncer à rien, surtout pas aux trois jeunes acteurs qu'il avait choisis dès le départ, même si entre-temps l'une d'entre eux est devenue star.
Voilà des décennies qu'Hollywood se demandait quels visages pourraient prendre Dean Moriarty, Sal Paradise et Marylou, le trio de Sur la route, que Kerouac a modelé d'après nature. Moriarty, c'est Neal Cassady, le garçon qui avait passé "un tiers de sa jeunesse en maison de correction, un tiers dans les salles de billard et un tiers dans les bibliothèques publiques", comme aime à le rappeler Walter Salles. Paradise, c'est Kerouac lui-même, l'immigré québécois, fils d'un ouvrier du Massachusetts. Et Marylou, c'est LuAnne Henderson, l'adolescente qui a fui sa famille par amour pour Cassady, et pour la liberté.
Il y a six ans, Walter Salles a d'abord choisi Garrett Hedlund pour jouer Neal. Le comédien avait 20 ans, il débarquait de sa ferme du Minnesota. Un peu plus tard, lors d'un dîner, le compositeur Gustavo Santaolalla a parlé au cinéaste d'une très jeune comédienne qu'il avait remarquée dans un film dont il écrivait la partition, Into the Wild, de Sean Penn. Kristen Stewart - "je me souviens d'avoir noté son nom sur un bout de papier" dit Walter Salles - est ainsi devenue Marylou. Enfin, après la projection de Control à Cannes, en 2007, l'Anglais Sam Riley a été invité à faire un bout d'essai avec Hedlund. L'alchimie entre les deux garçons était si évidente que malgré la différence de taille (Riley est grand et mince, Kerouac était petit et râblé) et d'accent avec son modèle, le Britannique a décroché le rôle de Sal Paradise. Entre autres parce qu'ils n'étaient pas très connus, le projet de Walter Salles a été repoussé plusieurs fois, jusqu'au début de 2010.

APRÈS AVOIR QUITTÉ LE PLATEAU de Sur la route, Kristen Stewart a enchaîné les tournages - la suite des "Twilight", Blanche-Neige et le chasseur. Alors que les deux garçons sont restés un an sans rien faire. Sam Riley, qui habite à Berlin, raconte qu'avec Garrett Hedlund, ils se parlaient par Skype. "Tu as trouvé quelque chose ? Non ? Moi non plus." Finalement, ils ont tous les deux accepté des seconds rôles sous la direction de réalisateurs de renom, Neil Jordan pour Riley, les frères Coen pour Hedlund. Après être restés si longtemps dans la peau des personnages de Kerouac, le retour au XXIe siècle n'a pas été facile.


Kristen Stewart n'a pas eu le choix, il lui fallait répondre à l'appel des vampires. Entre le moment où, folle de joie, elle a accepté le rôle de Marylou et le début du tournage, elle est devenue Bella, l'héroïne de la série "Twilight", l'amante du vampire que joue Robert Pattinson, qui est aussi son compagnon à la ville. Par miracle, en janvier 2010, lorsque Walter Salles a enfin trouvé, chez le producteur français MK2, les fonds et le soutien qui s'étaient dérobés ailleurs, le plan de tournage s'est avéré compatible avec l'emploi du temps de la jeune actrice. Ce qui l'était moins, a priori, c'était son statut de star poursuivie par les fans et les médias, et la volonté de Walter Salles de faire du tournage de Sur la route une expérience nomade, aussi proche que possible des errances de Kerouac.
Kristen Stewart a joué le jeu. Pendant le tournage, l'équipe a parfois joué à cache-cache avec la presse et les fans, qui suivent l'actrice à la trace. En Argentine (où l'équipe était partie chercher la neige au mois d'août), pour sortir de l'aéroport, il a fallu faire démarrer une limousine vide qui a entraîné les paparazzi sur une fausse route. Une partie du tournage au Mexique a été rapatriée en Arizona à la suite de menaces d'enlèvement. Mais sur le plateau, pas d'agents, d'attachés de presse, d'assistants, tout ce petit monde qui gravite autour d'elle à Hollywood. "Je ne sais pas comment elle fait pour rester aussi saine d'esprit", se demande Sam Riley.
Les trois jeunes acteurs sont passés par le "boot camp" (les classes, en jargon militaire) que Walter Salles a organisé quelques semaines avant le tournage à Montréal. Dans un grand appartement, ils ont visionné des films de John Cassavetes, rencontré des écrivains de la beat generation, écouté du jazz de la fin des années 1940. Kristen a découvert des enregistrements rares de LuAnne Henderson. De tous les protagonistes de Sur la route, LuAnne est la seule à n'avoir pas tiré profit de son expérience : "C'était sa vie, trois ans avec l'homme qu'elle aimait. C'est tout, pas une occasion de devenir célèbre. Et Dieu sait que l'époque était opportuniste." Kristen Stewart s'anime, comme elle le faisait sur le tournage à La Nouvelle-Orléans, quand elle se souvient de sa première lecture de Sur la route, à 14 ou 15 ans.
Elle, qui s'apprête à enchaîner la promotion de trois films, s'efforce de prouver que cet enthousiasme-là n'est pas convenu : "On dit toujours qu'on a été une famille sur le tournage, ce n'est jamais tout à fait vrai. Cette fois, si, insiste-t-elle. Je ne voulais pas quitter le plateau, j'aurais voulu faire toute la route avec eux. Mais depuis des années, je m'étais préparée à l'idée de finir la série "Twilight"." Elle s'est obligée à "cet énorme changement de vitesse", a travaillé sans arrêt pendant presque un an et hésite maintenant sur la route à suivre. "L'envie de travailler me démange, mais je n'ai rien vu qui me provoque, qui me mette en mouvement. C'est ça faire des films comme Sur la route, le niveau d'exigence augmente."

IL FAUT AUSSI FAIRE FACE aux attentes des admirateurs de Kerouac, des Américains qui se demandent pourquoi un Brésilien a donné le rôle de Sal Paradise à un Anglais, des cinéphiles qui savent que Francis Ford Coppola (qui avait acheté les droits du livre à la fin des années 1960 et est l'un des coproducteurs du film) ou Gus Van Sant auraient pu réaliser le film. Dans une librairie de Sunset Boulevard (si, il y en a), un vendeur a reconnu Sam Riley et lui a dit : "Tu vas être dans Sur la route ? J'espère que ce sera bien." Des trois, l'acteur britannique est le plus inquiet. Question de tempérament sans doute. Il se demande si on va lui reprocher son accent (mélange de yankee de la Nouvelle-Angleterre et de québécois) qu'il a travaillé pendant des mois. Il se souvient d'une anecdote pendant le "boot camp". "Un écrivain qui avait connu Kerouac est arrivé dans la pièce où j'étais avec Garrett. Il nous a serré la main et a regardé par-dessus mon épaule en demandant où était celui qui devait jouer Kerouac."
Six mois plus tard, à San Francisco, le soir du dernier jour de tournage, Sam Riley a rencontré Carolyn Cassady, la veuve de Neal, qui a aujourd'hui 90 ans (dans le film, son rôle est interprété par Kirsten Dunst). "Elle m'a caressé le visage et m'a regardé. Je ne peux pas répéter ce qu'elle m'a dit mais, en repartant, je me suis dit que les gens qui m'avaient engagé ne s'étaient pas complètement trompés." Entre-temps, Sam Riley/Sal Paradise avait cueilli du coton en Arizona par près de 50 °C à l'ombre, dansé dans des bouges de Puebla (à un moment de violence paroxystique au Mexique) et passé tout un dimanche dans la neige à Calgary, au Canada.
"Je me souviens qu'on est venu me réveiller pour aller tourner des plans à la sauvette. En vraie prima donna, je me suis dit que c'était mon jour de repos, mais je suis parti avec eux. Il n'y avait que Walter, Eric Gautier (le directeur de la photographie, ndlr) et Garrett s'occupait des costumes et du maquillage." Cette embardée dans le plan de travail, inimaginable sur le plateau d'un film hollywoodien, a produit d'admirables images de Sal Paradise marchant dans les montagnes, dans l'espoir d'arrêter une voiture ou un camion. "En trois heures on a tourné vingt plans, se souvient Sam Riley, et parmi ceux-là, mes préférés."
A La Nouvelle-Orléans, il a dû aussi improviser aux côtés de Viggo Mortensen qui tenait le rôle de Old Bull Lee, inspiré du personnage de William Burroughs, inventeur littéraire, héroïnomane, meurtrier de sa femme. "Je savais que Viggo était un homme intelligent, cultivé, un poète. J'ai passé toute la nuit sur Wikipédia parce que j'avais peur qu'il me demande : "Alors Sal, qu'est-ce que tu penses de l'Übermensch ?", alors que je n'ai jamais lu Nietzsche."
Ces plages d'improvisations sont au coeur du film qu'a voulu Walter Salles. Alors que le trio filait sur les routes d'Arizona par 45 °C à l'ombre, le scénario prévoyait qu'il embarque un auto-stoppeur. Walter Salles a saisi au vol le talent du chanteur Jake La Botz. Il lui a fait fredonner la triste complainte d'un homme qui a tué la femme qu'il aime, sans prévenir Kristen Stewart. "La réaction de Marylou au moment où elle entend cette chanson pour la première fois a été marquante, expliquait Walter Salles. Elle est restée dans le film, pour annoncer l'inévitable rupture entre Marylou et Dean Moriarty."

CETTE FIGURE DE DEAN MORIARTY, l'idéal masculin selon Jack Kerouac, l'objet du désir des femmes du film, Garrett Hedlund la porte depuis longtemps. Walter Salles avait vu des dizaines d'acteurs, aucun comme celui-là : "Garrett a amené une urgence, une vitalité, mais aussi une douleur liée à la quête du père. Quand il a passé l'audition, il arrivait du Minnesota. Il a récité le dialogue qu'on lui avait donné, et puis il m'a demandé s'il pouvait lire quelque chose. Dans le bus, il avait écrit un texte sur son voyage. Son interprétation de l'errance, sa propre vie m'ont conquis."
Quand il était adolescent, Garrett Hedlund avait lu que Francis Ford Coppola préparait une adaptation de Sur la route et s'était dit que le rôle de sa vie allait lui échapper. Quand, à 20 ans, il a croisé le chemin de Dean Moriarty, il n'a plus voulu le quitter, quelles qu'aient été les vicissitudes du projet. "A chaque fois qu'on lui a proposé un rôle, se souvient Walter Salles, il m'a demandé s'il pouvait le faire sans compromettre Sur la route." A force de refuser les offres, au désespoir de son agent, Garrett Hedlund reste encore à ce jour un espoir hollywoodien, alors qu'il aurait sans doute pu devenir une star depuis longtemps. Bien avant que la réussite du projet soit une certitude, il a accompagné Walter Salles dans ses recherches, apprenant à conduire une Hudson, rencontrant les survivants de la beat generation, comme le poète Michael McClure. "A l'époque, je ne pouvais pas dire que j'allais jouer Dean Moriarty. Je me taisais, je passais pour le compagnon de voyage de Walter."
"C'est une âme pure", dit de lui Sam Riley. Hedlund vit dans un petit appartement de Silver Lake, loin de Beverly Hills. "Je préfère me réveiller pauvre le matin, dit-il. Je ne veux pas avoir à travailler pour payer un appartement." En 2009, après que la crise bancaire eut fait capoter un premier montage financier de Sur la route, le jeune homme a cédé aux instances de son agent et a accepté le premier rôle dans Tron, grosse production de la Disney. "J'étais sur le point de demander l'argent du loyer à ma maman, se souvient-il. Six mois après, on était à Montréal, dans un appartement avec Kristen et Sam."
Garrett Hedlund a raté la soirée du dernier jour du tournage, qu'il a quitté en catastrophe pour assister à la première de Tron, à Los Angeles. Mais Walter Salles lui a offert sa revanche. Au printemps 2011, après avoir fini un premier montage, le cinéaste a repris la route à travers les Etats-Unis pour "un moment de liberté complète", destiné à assouplir le rythme du film. Une équipe réduite de cinq personnes, un seul acteur, Garrett Hedlund, et la Hudson, qui parcourt les petites routes, loin des freeways bordées de panneaux publicitaires, pour retrouver les espaces américains qui ont enivré Kerouac et Cassady. En écoutant Garrett Hedlund énumérer les étapes du voyage : les monts Adirondacks ; Cincinnati, Ohio ; Lexington, Kentucky ; Lubbock, Texas ; Las Vegas, Nouveau-Mexique, il ne manque qu'une guitare pour en faire un talking blues.

LE COMÉDIEN SE SOUVIENT de chaque averse de neige, de chaque panne. "Dans le Mississippi, un mécanicien du nom de Corndog a réparé la voiture sur la pelouse, devant sa maison. Il avait des Jheri curls (une coiffure popularisée par Michael Jackson sur la pochette de Thriller, ndlr) et se mettait un bonnet de douche pour se glisser sous la Hudson, pour ne pas mettre d'huile de moteur sur ses cheveux."
 Cannes est le terminus paradoxal et logique de ce voyage. Certes, le tapis rouge est un drôle d'endroit pour garer une Hudson qui trimballe trois clochards célestes. Mais Walter Salles y a présenté ses deux derniers films, Carnets de voyage et Une famille brésilienne (coréalisé avec Daniela Thomas). C'est après avoir vu Carnets de voyage, un autre road-movie qui suivait le jeune Ernesto Guevara à travers l'Amérique latine, que Francis Ford Coppola eut l'idée de lui proposer Sur la route. Kristen Stewart retrouvera sur la Croisette son partenaire de "Twilight", Robert Pattinson, qui a tourné dans Cosmopolis, de David Cronenberg. Sam Riley y fera son retour, lui qui avait été révélé à la Quinzaine des réalisateurs par son interprétation de Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, dans Control, d'Anton Corbijn. Et Garrett Hedlund pourra démontrer au monde entier ce que savent déjà tous ceux qui l'ont croisé : qu'il est une star de cinéma."

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